tous les jours depuis 1241 un clairon retentit du haut de la tour de "l'église mariacki" de Cracovie.
le nom complet de ce célèbre sanctuaire serait plutôt "basilique archipresbytérale de l'Assomption de la Vierge Marie".
mais les cracoviens la désignent affectueusement "mariacki" ce qui voudrait plutôt dire église de Marie.
(le polonais étant une des rares langues où mot "église" est masculin, pratique pour désigner le "corps mystique" du Christ, moins pour signifier son "épouse".)
(si c'était un mot féminin alors l'adjectif correspondant serait "mariacka".)
(à voir quand nous parlerons de la langue polonaise.)
le son de ce clairon, diffusé sur la première chaîne de radio polonaise, est un hymne militaire appelé "Hejnał".
autrefois joué à l'aurore et au crépuscule, il fut ensuite ajouté à midi et désormais, même toutes les heures.
il est un symbole de Cracovie, au même titre que l'accordéon de Paris, les valses de Vienne ou l'avé Maria de Lourdes.
en soi l'air n'a rien de particulier. comme l'hymne national espagnol, la marcha réal, il s'agit d'un air patriotique sans paroles (ce qui posait problème aux footballeurs espagnols pour le chanter au stade !) joué quatre fois de suite vers les quatre points cardinaux.
mais, faute de qualité remarquable, il a un défaut qui le rend caractéristique.
il n'est jamais joué en entier !
en effet ce jour de 1241 le sonneur de garde qui devait prévenir la population de l'arrivé de l'ennemi est tombé mort abattu d'une flèche en jouant son air.
tombé dans l'exercice de son devoir salutaire, ce gardien anonyme n'a jamais pu terminer le "Hejnał", toujours interprété aujourd'hui dans une version inachevée.
pour ajouter au symbole, observons que la tour d'où cet air est joué est celle dont aurait sans doute été crié le fameux appel à la prière du muezzin, si Cracovie avait effectivement été prise par les musulmans.
l'actuelle basilique serait alors une mosquée.
Cracovie serait tombée comme autrefois Cordoue, Constantinople, Belgrade et Jérusalem.
mais l'action discrète de milliers de martyrs anonymes en a décidé autrement.
la plus discrète (donc la plus efficace) évidement est Sainte Marie elle même.
le "Hejnał" sonne pour nous rappeler ce que nous sommes et grâce à qui nous le sommes.
le "Hejnał" est un appel à la prière à lui tout seul, sans contrainte, ni injonction.
le "Hejnał" est un défi lancé à l'oubli et au temps qui passe.
le "Hejnał" est un rappel que, comme écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans son livre sur la débâcle de 39, "chaque sentinelle est responsable de tout l'empire".
le "Hejnał" est un clin d’œil musical muet.
le "Hejnał" est une métaphore implicite du martyr de la nation polonaise, ayant arrêté les tartares en 1241 puis des turcs en 1683 pour protéger l’Europe d'une mort certaine, après l'exemple héroïque de la Grèce et de Constantinople.
le "Hejnał" est un buccin qui prévient "ils arrivent".
le "Hejnał" est joué parfois par les grands musiciens qui, de passage à Cracovie, tiennent absolument à monter sur la tour pour le faire au moins une fois dans leur vie.
peut être que quand "un ange passe" il joue le "Hejnał" sans qu'on l'entende.
peut être qu'un jour le "Hejnał" sera joué entier et doté d'une véritable fin.
formées en partie à Cracovie, les traditions judaïques assurent que la fin du monde sera annoncée par une trompe appelé שופר un chofar, actionnée par un ange.
quand Vous passerez sur la grande place de Cracovie appelée "rynek" ne manquez pas d'entendre le "Hejnał" au moins une fois.
on ne sait jamais quand on aura l'occasion de revoir la Pologne telle qu'elle.